L'idée était de reprendre le parcours initial là où la fermeture des frontières l'avait obligé à bifurquer l'an passé : à Vittangi, charmante localité de 800 âmes. Fort de son expérience, Manzanini s'est donc lancé plein Nord sur les routes enneigées. Son vélo pesait vingt kilos, équipé de pneus cloutés (350 clous chacun), d'un puissant éclairage, et chargé de sacoches comprenant un minimum de matériel, en cas de pépin, la voiture photo-vidéo, chargée de repérer les meilleurs points de vue, ne le suivant pas à la trace. Ce premier jour, la température affichait -30°C avec un ressenti d'environ -38°C car il y avait peu de vent, soit exactement la limite en deçà de laquelle il était dangereux de rouler, selon Stéphane, le guide finalement absent.
Rouler « à la température »
Le danger est double, il comprend aussi bien la survenue d'engelures possiblement définitives, que l'hypothermie. Grâce à un dispositif de capteurs fourni par la société Core Body Temp, le cycliste avait en permanence sur l'écran de son GPS non seulement sa température interne, mais aussi sa température à fleur de peau. Il explique que « le danger, c'est la transpiration. Et une fois mouillé, la température du corps descend très vite. Ce premier jour, je suis monté à 38°C, puis j'ai vu le chiffre redescendre très vite : à 37.2°C en interne, ma température de surface était à 32.5°C, je me suis arrêté pour me changer. Le froid demande tant au corps que je n'ai que des souvenirs vagues de cette première journée, comme si le cerveau s'était concentré sur l'essentiel. En plus la buée gelait à l'intérieur de mon masque, j'ai dû m'arrêter gratter trente fois, et toute la journée j'ai vu comme à travers un trou de serrure. Le soir à l'arrivée, j'étais un peu confus, je pensais qu'il était 18h00 et il était 21h30. J'avais parcouru 155 bornes en onze heures : infernal. »
De fait, les jours suivants, Arnaud roulerait « à la température » comme d'autres roulent « au capteur de puissance » ou « au cardio ». « J'ai géré, de sorte à me maintenir entre 37,4°C et 37,6°C. Ainsi je ne transpirais pas, donc je ne gelais pas, donc je ne m'arrêtais pas, je gagnais du temps. En fait la température corporelle est une clé de la performance. » Il y a fort à parier que les données de température corporelle, analysées et croisées avec les mesures de puissance de fréquence cardiaque et de glycémie participeront bientôt de cette émergence progressive de « l'Intelligence Artificielle » au service de la performance.
La tempête
Le deuxième jour, plus clément, l'épreuve fut d'une autre nature. Après avoir franchi sans difficulté la frontière suédo-finlandaise, il fallait passer en Norvège. Au milieu de nulle part, sur une route de cinq mètres de large et dans un paysage incolore, la police et l'armée déployées attendaient le voyageur, qui dut fournir moult justificatifs... mais sans avoir à montrer son visage, enfoui sous la cagoule et le masque. Ce jour-là, le vent le porte et il parcourt 170 bornes. Tant et si bien que le lendemain matin, lors de la quatrième journée, il envisage de finir d'une traite. Il lui reste moins de 150 bornes, c'est jouable. À ceci près que dans la nuit le vent se lève. « Un vent comme je n'en avais jamais connu, des rafales à 120km/h. Parfois, longeant la falaise du fjord ça allait, mais quand le vent m'atteignait il me jetait dans le fossé. Je me suis retrouvé une fois à découvert, à pied avec mon vélo à bout de bras qui flottait comme un drapeau ! Sur un court passage j'ai dû rouler à côté de la voiture, sinon j'y serais encore. Avec le recul, je me dis que c'était dangereux car il est arrivé que même la voiture glisse. »